La plupart des champagnes qu’il est coutume de déguster depuis plusieurs années sont des champagnes dits bruts. Le terme « brut » fait écho à la quantité de « sucre» que l’on ajoute à la fin du process de vinification des vins de Champagne, juste après le dégorgement (voir notre article sur la fabrication du champagne).
Cette étape consiste à ajouter une liqueur composée (le plus souvent) de vin et de sucre, afin de parfaire et d’équilibrer la cuvée en fonction de l’acidité, du vieillissement mais aussi et surtout du choix du vinificateur. Une cuvée de champagne est donc toujours constituée de ce « savant mélange », sauf s’il s’agit d’une cuvée dite nature ou non dosée. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement !
Cet article sera l’occasion, après un rapide retour quant à son histoire et sa création, de découvrir ce qu’est le dosage, les différentes formes qu’il peut prendre, mais aussi les différentes approches par cultures. Une véritable plongée à travers l’une des spécificités souvent méconnues des vins de champagne.
Histoire du dosage
Les vins champenois étaient, jusqu’au XVIIème siècle, des vins tranquilles c’est-à-dire non effervescents. C’est à partir de la fin de ce siècle que sont apparus les premiers vins pétillants et donc les premiers champagnes tels qu’on les connait aujourd’hui.
Les premières traces de dosage apparaissent en 1820, il ne se popularisera cependant que dans les années 1830 où il deviendra systématique dans la production du champagne.
La région Champagne, notamment par sa position septentrionale, était plutôt désavantagée en comparaison à d’autres vignobles. L’exposition au soleil était faible au XIXème siècle, le vent était lui aussi peu présent et la pluie dominait le ciel. La terre était donc difficile à cultiver, les raisins obtenus étaient très acides et le vin produit était, par conséquent, difficile à boire. Afin d’atténuer cette acidité trop présente, les vignerons et les maisons ajoutaient une quantité importante de sucre dans leurs cuvées offrant ainsi, des vins plus doux et plus agréables à déguster.
Aussi, l’ajout de liqueur de dosage permettait (et permet) de combler la quantité de vin expulsé de la bouteille lors de la phase de dégorgement tout en sublimant le vin et en lui offrant le juste équilibre. Maizière, un écrivain amateur de champagne du XIXème, disait en 1846 « il s’agit de rendre le champagne de plus en plus digne de primer, du dessert, tous les vins du monde, en le rendant parfait ».
Le dosage est déterminé selon les gouts du consommateur mais aussi ceux des vignerons. En effet, pendant longtemps, le dosage du vin était déterminé selon la destination des bouteilles. Les populations des différents pays n’ayant pas les mêmes coutumes gastronomiques, les vignerons ont alors su adapter les dosages. Ce dernier reste cependant le seul choix du vigneron qui peut décider ou non de doser son vin. Pour faire ce choix, il étudiera, dans un premier temps, le vin de l’année en cours, il décidera de produire un millésime ou non. Un millésime sera la plupart du temps peu dosé du fait du vieillissement plus long que les BSA (brut sans année). Par la suite , le vigneron prendra en compte le type de cépage, la façon dont sera élevé le vin mais aussi le type de contenant de vinification utilisé : en bois, en terre cuite ou en inox. Il choisira aussi le dosage selon la durée du vieillissement.
Les évolutions techniques ont permis d’améliorer l’étape du dosage mais aussi le rendement. La première machine permettant de doser le vin est apparue en 1844.
Les formes de dosage
Il existe plusieurs types de dosages selon leur contenance en sucre. Vous devez certainement les avoir déjà croisés sur l’étiquette de vos dernières dégustations. Voici la liste des dosages et leur contenance en sucre :
Il est important de noter que le vin peut contenir naturellement du sucre, on appelle ce dernier le « sucre résiduel », cependant son pourcentage reste faible. C’est la contenance en sucre qui définit le type de dosage. Ce dernier doit figurer sur l’étiquette de la bouteille. Lorsque le vin est non dosé, pour combler le manque créé par le dégorgement, le vigneron ajoutera un vin identique à celui contenu dans la bouteille. Tout simplement.
Le dosage, ou liqueur d’expédition, peut se faire avec une liqueur de dosage ou du MCR (mout concentré rectifié). Cette première est composée de vin et de sucre de canne ou de betterave. A noter que la betterave est moins utilisée car pour certain elle attribuerait au vin des saveurs assez vertes mais aussi un arome terreux et une odeur peu agréable. Le sucre de canne est alors régulièrement privilégié. Le vin peut aussi être remplacé ou complété par de l’eau de vie de vin, ce qui reste assez rare et très contrôlé. La liqueur pourra être filtrée et éventuellement chauffée sur une plaque stérilisante afin d’éviter que les levures et les sucres fermentent une troisième fois.
Le MCR est un mout de raisin (jus) qui a été réduit à l’état de nectar de raisin. Le MCR sera alors très sucré, le mout va être déshydraté afin de ne garder que le sucre naturel du raisin. Cette méthode est privilégiée pour le dosage des millésimes afin d’apporter du sucre sans pour autant perdre l’identité de la parcelle. Cette technique reste cependant peu utilisée.
Comme évoqué précédemment, les vins étaient pendant longtemps dosés en fonction de leur destination. Certains peuples buvaient le champagne tout au long du repas ou simplement au dessert, c’est donc pour s’adapter à ces différences de coutumes et de gouts que les dosages différaient.
Les pays baltes étaient amateurs de vins sucrés tout comme les Allemands et les Français mais la population qui battait tous les records Ces derniers préféraient un dosage fort en sucre, c’est pour cela qu’on surnomme les champagnes doux des « champagne au gout russe ». A noter qu’en 2010, lors d’une fouille marine, des plongeurs ont fait la découverte d’un bateau ayant fait naufrage il y a plus de 170 ans, dans lequel se trouvaient des bouteilles de champagne à destination de la Russie. Les bouteilles étaient dosées à 200 g/l, un vrai sirop !
Les Anglais ont eux aussi une histoire avec le champagne. Contrairement aux russes, les Anglais préféraient des vins moins sucrés afin de pouvoir les boire tout au long du repas. L’histoire dirait que le dosage brut aurait justement été inventé pour les Anglais ! L’auteur du Gourmet’s Guide to Europe, un Anglais très influent au XIXème siècle, adorait le champagne. Un jour, lors d’une partie de chasse en France avec un négociant de la région Champagne, il lui demanda un vin brut, le négociant lui répondit : « oh vous buvez ce poison-là !».
Aujourd’hui le dosage n’est plus tant adapté aux pays d’expédition, il doit apparaitre clairement sur la bouteille avant la vente de cette dernière. Cependant, certains pays restent très amateurs de vins doux et demi-sec, on peut toujours citer la Russie mais aussi l’Afrique du Sud, qui sont les premiers consommateurs de champagne doux dans le monde. Les Américains sont eux aussi amateurs de vins sucrés afin d’utiliser le champagne dans des cocktails.
Evolution des mœurs
Les temps changent, les gouts ne sont plus les mêmes qu’au XIXème siècle, le dosage n’est donc plus le même. On peut justifier cette évolution par l’évolution climatique mais aussi l’évolution des consommations.
Le climat évolue au fil des années, la Champagne était connue pour ses pluies régulières et son manque de soleil. La situation évolue et le climat devient de plus en plus clément, le soleil de plus en plus présent et les vendanges se font désormais plus tôt qu’auparavant. Le raisin peut donc développer naturellement son taux de sucre mais aussi ses arômes. Le terroir est donc moins difficile à cultiver et les raisins sont donc plus sucrés naturellement avec une acidité plus relative.
Les habitudes changent elles aussi, il y a 50 ans, les champagnes appréciés étaient plutôt demi-sec. Il y a 25 ans, on buvait souvent du brut mais depuis presque 5 ans, la tendance s’oriente vers l’extra-brut. On peut expliquer ces changements par des évolutions techniques dans l’élaboration du vin. Il sera plus souvent sublimé par la qualité des baies plus que par la liqueur de dosage. On peut aussi justifier cela par l’évolution de la gastronomie. En effet, depuis plusieurs années, la tendance se porte sur une consommation plus saine et donc moins sucrée. Le champagne suit donc cette tendance et diminue peu à peu son taux de sucre. Mais les gouts des consommateurs évoluent eux aussi tout comme les choix des vignerons. Les vins sucrés se boivent très frais, ils sont notamment privilégiés pour les desserts ou l’élaboration de cocktails comme la soupe champenoise.
La plupart des maisons et vignerons réputés en Champagne s’orientent vers le faible dosage voir vers un non-dosage des vins. La Maison Drappier est connue.
On peut citer également la maison Laurent-Perrier qui a produit sa première bouteille de champagne non dosée en 1970. Leurs assemblages sont sélectionnés avec soin afin d’éviter l’ajout de sucre permettant ainsi de produire un vin sucré naturellement. Les vins clairs utilisés sont matures et très peu acides, ce qui favorise un équilibre du vin et donc limite le besoin de sucre.
La maison Ayala produit elle aussi des champagnes peu dosés notamment son brut nature, vieilli pendant 4 ans en cave, offrant des arômes purs et minéraux en bouche.
La famille Lombard a également fait un choix audacieux : la quasi-totalité de leurs champagnes sont dosés en dessous de 6g/L de sucre. Ils possèdent également une gamme complète de champagnes non dosés.
Deux tendances prédominent actuellement en matière de dosage : les vignerons auront tendance à favoriser le coté nature du vin en apportant un dosage faible voir une absence totale de dosage. A contrario, les grandes maisons vont tendre vers certaines cuvées proposant un dosage important, notamment Moët et Chandon et sa cuvée ICE Impérial se buvant très frais ou avec des glaçons ou en cocktail mais aussi Veuve Clicquot et sa cuvée Rich. Cette approche marketing permettant le recrutement d’une clientèle plus jeune.